CRISPR-Cas9 ou l'édition du génome pour les nuls

LaetitaCAPELLANO

Laetitia CAPELLANO

Master Neurosciences Cellulaires et intégrées (Sorbonne Université) Rédactrice et Cheffe de section Hot topics Connectome

    Nommée découverte de l’année 2015 par Science, CRISPR-Cas9 qui permet de couper précisément l’ADN à l’aide de l’appariement de son ARN guide avec l’ADN. Elle est ainsi utilisée pour faire de l’édition du génome, ce qui est appliqué dans divers domaines de la biologie.

Introduction

L’édition du génome est une technique utilisée par les chercheurs depuis les années 70, car quel meilleur moyen d’étudier la fonction d’un gène que de pouvoir l’enlever et le remettre à sa guise, surtout lorsque celui-ci est impliqué dans une maladie. Ce principe est basé sur la recombinaison homologue, qui permet la réparation de cassures doubles brins dans l’ADN à partir d’une séquence similaire. Les premières méthodes d’édition du génome utilisées ne permettaient pas de précisément contrôler le lieu l’insertion d’ADN dans le génome. Toutefois, l’avènement de technologies comme CRISPR-Cas9 a réglé ce problème. Nous allons donc essayer de vous expliquer le principe de la méthode de CRISPR-Cas9 et comment elle a simplifié l’édition du génome par rapport à d’autres méthodes.

Qu'est-ce que Crispr-CAS9 ?

    A la base, CRISPR-Cas9 est un système de défense de l’immunité adaptative des organismes procaryotes contre les virus. Au fur et à mesure de la compréhension de son mécanisme et du fait de son potentiel pour l’édition du génome, il a été détourné pour être utilisé dans les cellules eucaryotes. Si ces avancées sont relativement récentes, le mécanisme avait commencé à être décrypté en 1987 par l’équipe du Pr. Nakata (Ishino et al., 1987). En effet, ils avaient découvert l’existence dans le génome bactérien et archéens de clusters de séquences répétées, plus tard dénommés CRISPR pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeat. Ces répétitions font 29 nucléotides et sont au nombre de 5. Elles sont séparées les unes des autres par des séquences de 32 nucléotides appelées spacers. Un point particulièrement surprenant est que l’origine des CRISPR est virale car à la suite de l’infection, la bactérie les intègre dans son génome. A la suite d’analyses du génome bactérien au début des années 2000, des gènes associés à ces séquences ont été identifiés, les gènes Cas pour CRISPR associated genes. Cette découverte de différentes protéines Cas a permis de distinguer 6 différents systèmes CRISPR. Ces protéines sont des endonucléases et Cas9 est la seule enzyme Cas à jouer un rôle dans la dégradation de l’ADN étranger (Hsu et al., 2014).

    Mais de quelle manière Cas9 fait des coupures précises de l’ADN ? En fait, les séquences CRISPR sont transcrites en un pre-crRNA (pre-CRISPR RNA) qui sera découpé en petits ARN appelés CRISPR RNA (crRNA) par la RNase III. Ces crRNA vont permettre de « guider » la Cas9 vers la séquence d’ADN cible par complémentarité entre les crRNA et le spacer de l’ADN étranger viral. Un autre élément absolument essentiel pour que Cas9 puisse couper l’ADN est la présence d’une séquence PAM. Les PAM, pour Protospacer Adjacent Motif, sont des séquences de 2 à 6 paires de bases situées juste après le spacer sur l’ADN viral. La spécificité du système CRISPR-Cas9 par rapport aux autres types de systèmes CRISPR est la présence d’un trans-activating crRNA (tracrRNA). Le tracrRNA s’hybride avec le crRNA pour faciliter le guidage de la Cas9 mais va aussi intervenir dans la maturation des crRNA (Jinek et al., 2012).

    CRISPR-Cas9 était ainsi un bon candidat pour modifier les génomes car la Cas9 fait des coupures double brin de l’ADN. L’hybride tracrRNA/crRNA est simple à produire car il peut être synthétisé sous la forme d’un unique ARN guide, single-guide RNA (sgRNA).

    Ce sgRNA est ainsi modifié de manière que les spacers correspondent à la séquence cible d’ADN que l’on souhaite modifier. Un des problèmes majeurs de cette méthode est qu’il faut absolument un séquence PAM sur l’ADN cible pour que le complexe puisse se lier à l’ADN. Il y a aussi un problème d’off-target, c’est-à-dire que la Cas9 va couper ailleurs sur le génome, dû à la reconnaissance de la séquence cible par le sgRNA mais des équipes de recherche travaillent sur ce point en modifiant la Cas9 pour qu’il y ait reconnaissance des 2 brins par exemple. Pour en revenir à la modification du génome, il existe plusieurs méthodes pour apporter CRISPR-Cas9 dans les cellules, que ce soit in vitro ou in vivo : à l’aide de particules lipidiques, de méthodes physiques comme l’électroporation ou encore des vecteurs viraux. Cependant, il n’existe pas encore de méthode universelle pour faire rentrer CRISPR-Cas dans les cellules, il faut faire du cas par cas en fonction du modèle utilisé (Lino et al., 2018). CRISPR-Cas9 consiste en un assemblage entre une endonucléase, la Cas9, et un ARN guide complémentaire de l’ADN ciblé, qui induit une coupure double brin, ce qui permet l’insertion d’un ADN étranger ou l’invalidation du gène ciblé.

En quoi CRISPR-Cas9 simplifie l’édition du génome ?

CRISPR-Cas9 est la technique de modification du génome la plus récente, mais d’autres systèmes étaient déjà utilisés et le sont toujours, qui provoquent tous une coupure double brin. Les méganucléases constituent un de ces premiers systèmes développés. Il s’agit d’endonucléases naturellement présentes dans les cellules qui vont reconnaitre une séquence spécifique assez longue, entre 14 et 40 pb. Le problème majeur de cette technique est qu’elle fait intervenir le système de réparation des lésions doubles brins Non-Homologous End Joining (NHEJ) plutôt que la recombinaison homologue induite par CRISPR-Cas9. En effet, le système NHEJ introduit des erreurs comme des indels (insertions/délétions) dans l’ADN et la séquence d’ADN que l’on veut insérer dans le génome a de forts risques de ne pas l’être (Silva et al., 2011).
    D’autres méthodes ont ainsi été développées pour corriger ce problème comme les nucléases à doigts de zinc (ZFN). Ces endonucléases résultent d’une fusion de domaines à doigt de zinc avec la nucléase Fok1. Les domaines à doigt de zinc sont des domaines protéiques qui reconnaissent des triplets de bases. Ils sont ainsi synthétisés au nombre de 6-7 pour pouvoir reconnaitre une séquence de 18-21 pb. La nucléase Fok1 est active sous la forme d’un homodimère donc une paire de ZFN est produite, chacune reconnaissant un des deux brins (Adli, 2018).
    Une méthode encore plus spécifique que les ZFN est les Transcription Activator-Like Effector Nucleases (TALENs). Leur point commun est que les TALENs sont également composées de la nucléase Fok1 et donc agissent également par paires. La différence majeure est que Fok1 est fusionnée à des domaines de répétitions Transcription Activator-Like Effector (TALE) qui vont chacun reconnaitre spécifiquement une base sur une séquence d’une vingtaine de bases (Joung and Sander, 2013). Bien que les ZFN et les TALENs sont plus spécifiques que CRISPR-Cas9 et n’ont pas de problème d’off-target, ces méthodes sont bien plus coûteuses à synthétiser et demandent une réelle expertise technique. Un autre avantage non négligeable de CRISPR-Cas9 par rapport à ces 2 méthodes est que l’on peut effectuer du multiplex editing, c’est-à-dire éditer plusieurs endroits du génome à la fois tout simplement en utilisant différentes constructions de sgRNA. (Hsu et al., 2014 ; Lino et al., 2018).

Conclusion

    Même si CRISPR-Cas9 comporte quelques défauts comme son risque d’off-target, son prix abordable et sa simplicité d’utilisation font que c’est un outil très utilisé dans la recherche. Basé sur la reconnaissance d’un ADN cible à partir d’un ARN guide puis par la coupure double brin de cet ADN par la Cas9, il intervient majoritairement dans l’édition du génome. Cette édition du génome est appliquée dans de nombreux domaines, allant de la filière agroalimentaire à la découverte de nouveaux médicaments. L’application de ces méthodes chez l’Homme a soulevé de nombreuses questions au niveau éthique notamment sur son utilisation sur les embryons. En effet cela changerait totalement le génome d’un individu, ce qui fait craindre de potentielles dérives d’eugénisme.

Références
  • Adli, M. (2018). The CRISPR tool kit for genome editing and beyond. Nat Commun 9, 1911.
  • Hsu, P.D., Lander, E.S., and Zhang, F. (2014). Development and Applications of CRISPR-Cas9 for Genome Engineering. Cell 157, 1262–1278.
  • Ishino, Y., Shinagawa, H., Makino, K., Amemura, M., and Nakata, A. (1987). Nucleotide sequence of the iap gene, responsible for alkaline phosphataseisozyme conversion in Escherichia coli, and identification of the gene product. J. Bacteriol. 169, 5429–5433.
  • Jinek, M., Chylinski, K., Fonfara, I., Hauer, M., Doudna, J.A., and Charpentier, E. (2012). A Programmable Dual-RNA-Guided DNA Endonuclease in Adaptive Bacterial Immunity. Science 337, 816–821.
  • Joung, J.K., and Sander, J.D. (2013). TALENs: a widely applicable technology for targeted genome editing. Nat Rev Mol Cell Biol 14, 49–55.
  • Lino, C.A., Harper, J.C., Carney, J.P., and Timlin, J.A. (2018). Delivering CRISPR: a review of the challenges and approaches. Drug Delivery 25, 1234–1257.
  • Silva, G., Poirot, L., Galetto, R., Smith, J., Montoya, G., Duchateau, P., and Paques, F. (2011). Meganucleases and Other Tools for Targeted Genome Engineering: Perspectives and Challenges for Gene Therapy. CGT 11, 11–27.

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