Théorie de la cellule Histoire des sciences naturelles

thumbnail_Amin2019m-e1575215342937

Amin BENADJAL

PhD student in Neuroscience Laboratoire du Dr Alain CHEDOTAL Développement, évolution et fonction des systèmes commissuraux. Institut de la Visison - Co-Fondateur de Connectome In Science

En quoi est-ce que la théorie du moule antérieur de Buffon, ou bien la théorie darwinienne des gemmules anticipe la théorie cellulaire moderne ?
Quelles sont les différences les plus importantes ?

Depuis l’Antiquité, la diversité du monde est un sujet de fascination pour l’Homme et elle témoigne de la complexité de ce dernier. En toute légitimité, nous pouvons nous demander s’il existe un point de convergence entre toutes les entités qui constituent le vivant ou bien si l’on dénote des dissemblances fondamentales entre elles ? De ce fait, de nombreux philosophes et scientifiques s’emparent de la question de la génération des individus en s’exerçant à donner des tentatives d’explications.

Il est possible de retracer la poursuite des idées en commençant par la classification du vivant faite par Aristote, IV siècle avant J-C. Cela permit une catégorisation paramétrée sur le genre et l’espèce et donc d’instaurer un certain lien, au moins conceptuel si ce n’est biologique, entre les espèces. Dans la continuité, son contemporain, George-Louis Leclerc, compte de Buffon s’attela à rédiger un ouvrage, Histoire naturelle, dans lequel il s’applique à donner une description détaillée de la nature. Entre autres, le philosophe expose ses théories sur l’origine des espèces ainsi que sur la composition du vivant avec son concept de moule antérieur. Plus tard, au XIXe siècle, son successeur, Charles Darwin met en lumière sa théorie de la pangénèse, un raisonnement selon lequel il existerait des particules, unités fondamentales du vivant, portant l’hérédité. En résonance à ces théories, en 1838, Matthias Jakob Schleiden et Theodor Schwann exposent la théorie cellulaire : la cellule est l’unité structurale et fonctionnelle des plantes et des animaux.

Il devient intéressant de comprendre quels liens sont permis l’évolution des idées aboutissant à la théorie cellulaire admise de manière universelle dans le monde scientifique. Dans cette optique, l’analyse conceptuelle d’une part du moule antérieur de Buffon et d’autre part de la théorie des gemmules de Darwin semble intéressante pour comprendre comment la théorie cellulaire a été anticipée ainsi que pour mettre en évidence les points de divergences importants entre les trois théories.

[1] 📚Préface de la traduction La méthode des fluctuations et des suites infinies de Newton: Buffon démontre le caractère fini des particules

1 Démocrite ℹ

Philosophe de la Grèce Antique (460 av. J-C) il défend la théorie atomistique. Théorie selon laquelle, la nature est composée de deux composantes: les atomes et le vide. Cette théorie repousse la notion d’infinité concernant les particules.

D’un point de vue chronologique, George-Louis Leclerc Buffon était en premier lieu un scientifique, physicien et mathématicien avant d’entreprendre ses recherches sur l’histoire naturelle. Sous l’influence de Newton, il s’accorda sur les notions d’infinis et de finis [1]. Ce sont ses travaux en mécanique classique qui joueront par la suite le point d’émergence de ses théories sur la génération des espèces. En effet, en admettant la conception atomistique, autrement dit, en suivant la pensée de Démocrite1 à l’instar de celle d’Aristote, il admet que la matière est composée de ce qu’il nomme des particules organiques.

2 Fixisme ℹ

Courant de pensée déjà présent dans l’Antiquité avec Aristote expliquant qu’il n’y a pas d’évolution mais qu’il existe un lot initial d’individu qui se maintient stable par un renouvellement cyclique. Principe conduisant au créationnisme.

Lorsqu’il est théoriquement admis que la matière puisse être décomposable en particules unitaires de taille finie alors dans ce cas-là, il devient possible pour Buffon de mettre en place un raisonnement scientifique sur la génération des individus en se basant sur ce principe de base. Dans son ouvrage majeur, Histoire naturelle, le philosophe met en relief le monde naturel grâce à l’accumulation d’observations, d’expériences et de descriptions. Buffon classifie les espèces et introduit les prémisses du concept d’évolution entrant en rupture avec la pensée fixiste aristotélicienne2. Dans son travail, il ordonne les espèces et expose la théorie de la dégénération: toutes les espèces sont issues d’un lot initial et certaines d’entre elles dérivent de la dégénération des autres donnant des espèces moins parfaites (l’âne serait issu de la dégénération du cheval par exemple). Le prolongement de cette théorie induit les notions d’intrication et d’interdépendance entre les espèces supposant une entité structurale ou fonctionnelle les unissant.

Quels phénomènes permettent d’expliquer la génération des individus et quels mécanismes témoignent de la diversité des espèces? Pour répondre à ces deux problématiques, Buffon met en place sa théorie du moule antérieur.

[2] 📚Histoire naturelle générale et particulière, Tome II, Chapitre 3, p.41-p.49, Buffon, 1749.

«Le corps d’un animal est une espèce de moule intérieur, dans lequel la matière qui sert à son accroissement se modèle et s’assimile au total […]» [2], Buffon voit l’intérieur du corps comme un moule, une force de la nature gouvernant les molécules organiques. De par cette force, les particules se meuvent induisant ainsi une organisation tridimensionnelle. Ces dernières pénètrent la matière brute dans toutes ses dimensions concevant ainsi le moule extérieur. Autrement dit, la génération des individus est la conséquence de l’interaction des molécules organiques avec la matière brute médiée par la puissance du moule intérieur.

L’extrapolation du raisonnement de Buffon induit donc que la matière organique constituant les êtres organisés est une ressource finie induisant inévitablement une fin de la vie à un moment donné. Pour pallier à ce problème, Buffon explique que la mort d’un individu n’est pas corrélée à la destruction des particules organiques mais à leur désassemblage, «Détruire un être organisé, n’est comme nous l’avons dit, que séparer les parties organiques dont il est composé, ces mêmes parties restent séparées jusqu’à ce qu’elles se réunissent par quelque puissance active […]»[2], autrement dit, les particules organiques vont d’un moule à un autre de manière perpétuelle et c’est cette continuité spatio-temporelle qui installe une unité constitutionnelle à tous les êtres vivants.

[3] 📚Histoire naturelle générale et particulière, Tome II, Chapitre 4, De la génération des animaux, p.53-p.61, Buffon, 1749.

Quand est-il de la reproduction sexuée? La théorie du moule antérieur semble aux premiers abords s’en éloigner car il suffirait de libérer les particules organiques pour obtenir un nouvel organisme en présence d’une force dirigeante. Pourtant, Buffon répond à cette problématique en expliquant le développement de l’individu. L’individu se développe par l’ingurgitation des molécules organiques et lorsque l’accroissement est pratiquement fini, il reste un superflu de ces molécules qui s’accumulent dans les cavités présentes à cet effet. C’est de cette manière que Buffon explique pourquoi chez l’Homme, les enfants ne peuvent procréer, car ils se servent tout d’abord de ces particules pour s’accroître et que lorsque la puberté arrive, les premiers signes de reproduction se font sentir:«Je pense donc que les molécules organiques renvoyées de toutes les parties du corps dans les testicules et les vésicules séminales du mâle et dans les testicules ou dans telle autre partie qu’on voudra de la femelle, laquelle l’un comme dans l’autre est, une espèce d’extrait de toutes les parties du corps.» [3]

[4] 📚Œuvres complètes de Buffon, par M. A. Richard, à Paris, Baudouin frères éditeurs & N. Delangle, 1827, p.193.

3 Préformationnisme ℹ

Théorie développée au XVIIIème siècle prônant l’idée que le développement embryonnaire provient de structure préexistante dans l’œuf et qu’il est soumis qu’à des phénomènesde croissance.

Après l’étude de l’unité structurale du vivant et la réponse quant à la génération par voie sexuelle, Buffon se heurte à la question de la génération spontanée qu’il réfute dans un premier temps. Cependant, quelques années après l’écriture de son tome II d’Histoire naturelle, il explique dans un autre texte la continuité de sa théorie. Les matières organiques passent d’un moule à l’autre, lorsque l’individu est mort et donc que son corps est en décomposition. Durant ce laps de temps, ces molécules sont actives et interagissent avec la matière en putréfaction ce qui en résulte des générations spontanées qui n’ont pas à leur tour de descendance: «comme ils sont nés sans parents, ils meurent sans postérité.» [4].

4 Antoni Van Leeuwenhoek ℹ

Savant néerlandais qui en 1674 développe des lentilles prestigieuses permettant d’observer des cellules avec une grande précision. Il affirme l’existence des bactéries et découvre les spermatozoïdes.

5 Théorie vitaliste ℹ

Théorie selon laquelle la vie n’est pas réductible à des lois purement physico-chimiques. La vie admettrait une force qui lui est propre, une force vitale. Buffon parle de moule antérieur tandis que Darwin écartera toute force semblable dans sa théorie de la pangénèse.

[5] 📚 La naissance du concept de génération spontanée, Pascal Charbonnat, Docteur en épistémologie, HAL, archives-ouvertes.fr, 22 février 2012.

La théorie soumise à l’époque par Buffon s’opposa au fixisme et au préformationnisme3. Ses travaux ont eu du succès car l’utilisation du microscope par les biologistes grâce à Antoni Van Leeuwenhoek4 et les idées de Newton sur les particules finies du monde rayonnaient dans la communauté scientifique. Il y avait une pleine adéquation avec la pensée atomistique du moment. Cependant, la théorie du moule antérieur de Buffon fit appel à une puissance propre au monde du vivant et donc induisait une déconnexion entre la matière vivante et la matière inerte [5]. Un siècle plus tard, Darwin, expose à la communauté scientifique sa théorie de la pangénèse réduisant la génération des individus à un processus physico-chimique écartant ainsi toute théorie vitaliste5.

6 Lamarcket le transformiste ℹ

Au XVIIIème siècle, Lamarck introduit les principes de base de l’évolution des espèces sans y faire une démonstration rigoureuse. Il introduit la vision transformiste selon laquelle l’organisme est un système réagissant intrinsèquement face aux variations environnante. Aucune distinction entre les charactères acquis et hérités dans son raisonnement.

7 Maupertuis ℹ

Mathématicien et philosophe du XVIIIème siècle, il est partisan des idées Newtoniennes et s’oppose aux théories purement vitalistes. Le philosophe rédige un essai, Essaie sur la formation des corps organisés, dans lequel il énonce certaines prémisses du transformisme et par extrapolation est sur le chemin de la théorie de l’évolution des espèces faites par Darwin plus tardivement.

8 Pangénèse ℹ

Théorie développer par Darwin selon laquelle tout l’organisme participerait à la transmission des caractères d’une génération à l’autre. Cette théorie reprend les idées hippocratiques.Elle se base entre autres sur les études de génération des membres et la nature mixte des hybrides.

Charles Darwin, au XIXe siècle, expose au monde entier sa vision sur l’évolution des espèces dans son ouvrage De l’origine des espèces, où le naturaliste et paléontologue révolutionne radicalement la biologie. En effet, il reprend le point de vue de Lamarck6 sur la dérive des espèces à partir d’un seul ancêtre commun. D’autre part, en continuité avec Maupertuis7, il tente une explication de l’origine de la vie avec sa théorie de la pangénèse8.

[6] 📚 La variation des animaux et des plantes à l’état domestique, Darwin, Janvier 1868, chapitre XXVII, p.369-372.

Comme ses prédécesseurs, tels que Maupertuis et Buffon, Darwin pense l’hérédité des caractères acquis de manière particulaire. Il impose dans son livre, De la variation des animaux et des plantes, l’hypothèse d’unités représentatives élémentaires : les gemmules. Cette théorie permet une réponse à la question de l’hérédité et de la stabilité : de quelle manière la transmission des caractères acquis se fait d’une génération à l’autre et comment préserve-t-elle l’intégrité de tous les tissus et organes ? [6]

9 Herbert Spencer ℹ

Philosophe évolutionniste du XIX siècle présentantleprincipe des unités physiologiques.Il existe selon lui des unités qui une fois assembler peuvent donner un être complexe mais il ne complète pas sa théorie par la démonstration.

[7] 📚 Pierre Kropotkine, De Darwin à Lamarck, p91-94, ENS EDITION, 1910-1919.

Reprenant le principe des «unités physiologiques» de Herbert Spencer9, Darwin explique l’hérédité par les gemmules: l’ensemble des cellules composants le corps possèdent et secrètent des particules élémentaires capables de diffuser dans tout le corps. Ces particules diffusibles sont capables de proliférer par subdivision reproduisant ainsi les caractéristiques de la cellule mère dont elles proviennent. La diffusion de ces gemmules conduit ces dernières dans les cellules reproductrices. Ainsi chaque organe, tissus ou toute autre organisation cellulaire constituant le corps sont représentés dans les cellules germinales et peuvent ainsi être transmis à la génération d’après. Ce mode de transmission est si précis qu’il permet de transmettre les modifications que subissent les parents à la génération d’après. La théorie de la pangénèse est substantiellement très puissante, car elle explique à la fois la transmission des caractères acquis ainsi que la stabilité de la représentation d’une race d’un individu à l’autre. [7]

10 Darwin & Orthogenèse ℹ

Darwin est avant tout naturaliste et explique la théorie de la pangénèse et de l’évolution des espèces par le biais de ses observations et de ses conclusions. Il reste confus quant aux questions métaphysiques bien qu’il conçoive que la sélection ne peut se faire sans sélectionneur. Il essaye de garder une limite entre les processus

La théorie de la pangénèse n’est pas comme on pourrait le croire une remise en cause d’une quelconque action supérieure. Bien qu’elle explique comment passer d’un individu à un autre, elle n’explique pas l’origine de ces particules élémentaires. Darwin explique un processus physique sans remettre en cause une origine métaphysique. Cependant, il entre en rupture avec la pensée lamarckienne et celle de son grand-père Erasmus Darwin en réfutant indirectement l’orthogenèse10. L’action supérieure est limitée quant à la mise en mouvement et à l’association de ces gemmules. En somme, le naturaliste introduit une unité de base de la vie s’assemblant selon des lois physiques permettant une continuité de l’espèce au cours du temps.

11 Vision de Buffon et Darwin au XVIIIe et XIXe siècle ℹ

Durant ces époques, la liberté de croyance n’est pas accessible donc lorsque les philosophes ou les scientifiques s’attèlent à expliquer certains processus biologiques, il est très difficile pour eux d’adopter une vision matérialiste. Buffon laisse dans ses explications l’intervention d’une force du vivant tandis que Darwin explique le processus sans remettre en cause une quelquonque origine supérieure.

Les visions de Buffon et de Darwin sur la génération des individus ont profondément marqué la science par le fait qu’elles ont permis de réfuter la théorie du préformationnisme sans pour autant écarter une quelconque action divine dans une époque monarchique et religieuse(la mise place de la vie par une force divine n’est pas incompatible avec un processus explicatif de la vie)11. Elles ont permis d’ancrer dans la pensée scientifique cette idée de transmission par des particules représentatives élémentaires. Cela a constitué un socle solide pour la mise en place de la théorie cellulaire moderne.

[8] 📚 Apports et limites des programmes de rechercheaux sciences de gestion, Julie Tixier CREPA, Université Paris IX, Dauphine Thomas Jeanjean CEREG Université Paris IX Dauphine.

12 Lorenz Oken ℹ

Philosophe et naturaliste du XIXème siècle, il étudie l’histoire naturelle et s’intéresse aux infusoires. Il s’agit d’organismes minuscules possédant toutes les propriétés du vivant. Il les voyait comme une sorte de fusion d’unité élémentaire primitif ayant perdu leur individualité au service de l’organisme tout entier.

Lorsque l’on s’intéresse à un phénomène théorisé alors d’instinct on se focalise sur la théorie admise par la communauté au moment où nous l’étudions. Pourtant, en science, une théorie n’est certainement pas déconnectée des pensées antérieures. Selon Lakatos, le développement de la science est un processus dynamique et continu [8]. De plus, son prédécesseur, Popper, introduit un critère de validation: la réfutabilité. En partant de cette base, Lakatos propose un falsisficationnisme méthodologique sophistiqué : une théorie est falsifiée si elle possède un contenu expérimental supérieur aux autres conceptions, autrement dit,elle apporte des prédictions inédites et une partie de son contenu doit être testée. C’est en empruntant ce chemin épistémologiqueque nous allons expliquer le rapport conceptuel entre le moule antérieur de Buffon, la théorie des gemmules de Darwin et la théorie cellulaire moderne de Virchow.

[9] 📚 De la théorie cellulaire à la théorie neuronale. Andrée Tixier-Vidal, Biologie Aujourd’hui, 204(4), 253-266 (2010) société de biologie, 2011

13 Dutrochet ℹ

En 1824, le physiologiste français écrit un ouvrage où il introduit au cœur de la physiologie la notion de cellule. Il fait une description globale. Il souligne la différence morphologique des cellules en fonction des organes ce qui va constituer une base pour l’émergence de la théorie cellulaire. «La nature possède un plan uniforme pour la structure des êtres organisées animaux ou végétaux... et...tous les êtres vivants dérivent de la cellule dont ils sont la modification.

[10] 📚 François Duchesneau, Genèse de la théorie cellulaire, Montréal-Paris, Bellarmin-Vrin, collection Analytiques, 1987, p.388.

Les observations et spéculations faites par Oken, philosophe appartenant à l’école allemande de «Philosophie de la Nature» en 1800 sur les infusoires12et les progrès microscopiques sur l’étude de l’anatomie des plantes ont permis de fournir un ressort à la théorie cellulaire[9]. En effet, la genèse de la théorie cellulaire voit le jour en 1838 avec Schneider et Schwann. Les observations de ces deux chercheurs conduisent à la mise en place d’un des axiomes fondamentaux de la théorie cellulaire«la cellule est l’unité structurale et fonctionnelle des plantes et des animaux». De plus, en continuité avec les travaux de Raspailet Dutrochet13, Schwann théorise le fait qu’une cellule adopte plusieurs formes, plusieurs conformations selon sa position dans le corps, selon sa participation à la mise en place d’un tissu ou d’un organe spécifique [10]. Il y a donc selon lui, une transformation cellulaire permettant d’expliquer la diversité des cellules dans le monde vivant. La théorie cellulaire impose donc une unité de base entre tous les êtres vivants. Par suite de ces travaux, Virchow, en 1858, énonce le troisième axiome de la théorie cellulaire en affirmant que chaque cellule provient d’une autre cellule [11].

[11] 📚 Die cellular-Pathologie, Virchow, 1858. Le médecin y annonce dans la première partie les principes de la théorie cellulaire.

L’un des fondements de la théorie cellulaire est que la cellule est l’unité fonctionnelle et structurale de tout organisme vivant. «Les plantes et les animaux qui peuvent se multiplier et se reproduire par toutes leurs parties sont des corps organisés et semblables dont les parties primitives et constituantes sont aussi organisées et semblables», Buffon semble déjà comprendre que le corps est organisé par des structures elles-mêmes organisées. Il y a un début, conceptuel, de la notion d’unité fonctionnelle, principe de base de la théorie cellulaire.Cependant, le philosophe n’a pas su déterminer quelle structure organisée précisément jouée le rôle d’unité fondamentale.Ce n’est qu’avec les avancées microscopiques que Schneider et Schwann ont pu expérimenter et analyser le rôle fondamental de la cellule. Finalement, à la fin du XVIIIe siècle, il y a peu d’expériences allant dans ce sens mais un concept nouveau, celui d’unité, émerge et trouvera résonnance au XIXème siècle avec Darwin.

D’autre part, la forme de la cellule est aussi abordée dans la théorie cellulaire, comme décrite précédemment, la cellule est capable de changer de forme en fonction du rôle qu’elle doit avoir dans le corps de l’individu. Darwin avait déjà réfléchi à la question du maintien de tous les tissus en expliquant que chaque cellule était représentée dans les cellules germinales grâce aux gemmules [6]. Or la démonstration scientifique de ces particules n’était pas faite tandis que le mouvement et la division cellulaire ont pu être observés au microscope. La représentation de l’organisme ne passe donc plus par un produit de sécrétion comme le souligne Darwin mais par la cellule elle-même permettant ainsi de passer à une unité constitutive du vivant à la fois informationnelle et structurale.

[12] 📚 Das Keimplasma. Eine Theorie der Vererbung, August Weismann, 1892. Après sa conference en 1883, le médecin allemandintroduit dans son ouvrage la differenceentre cellules somitiqueset cellules germinales.

D’après Virchow, une cellule provient d’une autre cellule assurant ainsi la continuité de l’informativité cellulaire mais aussi le développement de l’individu. Buffon ne pensant pas en termes de cellule mais plutôt en termes de particules organiques, il ne pouvait pas prévoir une telle continuité. Cependant, Darwin expliqua ce prolongement cellulaire par le biais des gemmules qui permettent d’assurer la continuité de chaque type cellulaire présent dans l’organisme et le développement de l’individu. Ces gemmules sont capables de se diviser et de reformer les cellules mères dont elles proviennent. Darwin mit le pied à l’étrier quant à la stabilité de l’individu médiée par une représentation de tout l’organisme dans les cellules germinales. Ce n’est que plus tard, en 1883, qu’August Weismann fait la distinction entre les cellules somatiques et les cellules germinales en expliquant que ce sont ces dernières qui permettent d’assurer la stabilité de tout l’organisme d’une génération à l’autre. Entre autres, Weismann a permis de compléter la question de la transmission non abordée directement dans la théorie cellulaire.[12]

La théorie cellulaire est une théorie matérialiste reposant sur les principes physico-chimiques de la cellule: la vie n’est possible que par la présence d’une organisation complexe permettant des processus physiologiques. Tout comme les molécules organiques de Buffon ou les gemmules de Darwin, la cellule représente une unité de base constituant ainsi le monde du vivant. Cependant là où Buffon voyait une force propre au vivant, le moule antérieur, la théorie cellulaire y voit simplement des relations physico-chimiques complexes aboutissant à des réactions métaboliques et réfute totalement une théorie vitaliste dans sa version moderne.

La conception mise en avant par Virchow, comme vue précédemment, permet d’identifier une unité élémentaire du vivant: la cellule. Cette théorie repose donc sur l’avancée des idées au cours des siècles précédents. Actuellement, la théorie cellulaire de Virchow semble être accepté de manière universelle pourtant on est en droit de se demander si cette théorie n’est pas erronée ou bien incomplète.

La cellule est l’unité fondamentale du vivant, mais à quelles conditions? Il semble admis que la vie est le corollaire de l’environnement. En effet, on ne dénombre aucune autre forme de vie en dehors de la Terre. De plus, au sein de notre planète, l’environnement est fluctuant d’un endroit à un autre voir d’une époque à une autre conduisant à des cellules aux capacités diverses.(Tardigrades, Thermus aquaticus etc…). Donc la cellule se définit non seulement par ses caractéristiques physico-chimiquesmais aussi par extension par ses interactions avec l’environnement extérieur. Une cellule n’est pas isolée du reste du monde.

Lorsque Schwann, Schneider et Virchow apportent chacun leur tour à la contribution de la théorie cellulaire, ils se focalisent essentiellement sur leur observation par le biais des microscopes. Ces derniers donnent une définition morphologique et physiologique de la cellule: Une entité individualisée logeant un noyau dans du protoplasme. Or, il semble que cette définition bien qu’étant à la base de la biologie cellulaire connaît certaines limites. En effet, il existe des organismes délimités par une seule membrane comprenant plusieurs noyaux baignant dans le protoplasme par exemple pour l’algue Caulerpa. Peut-on, dans ce cas-là, dire que la définition cellulaire est correcte? D’autres cellules comme les hématies chez l’homme perdent leur noyau par un processus physiologique: sont-elles toujours considérées comme des cellules ?

14 Pasteur& Génération spontanée ℹ

Louis pasteur est un scientifique français du XIXème siècle qui met à mal la théorie de la génération spontanée grâce à ses ballons à col de cygne permettant de démontrer qu’il ne peut y avoir génération d’une cellule sans matière par avance entre autres.

De plus d’après la théorie cellulaire, toute cellule provient d’une autre cellule. Il s’agit d’un des principaux axiomes de cette théorie. En effet, la génération spontanée fut écartée par Pasteur14 et Darwin et les observations microscopiques ont permis de pencher vers une prolifération cellulaire par division ou par bourgeonnement. Cependant, il vient naturellement à l’esprit, l’idée de la première matrice cellulaire : si l’évolution pure est admise en balayant une conception vitaliste alors nous devrions trouver des traces d’organismes vitaux autonomes inférieurs à la cellule. De nombreux chercheurs et philosophes comme Arrhenius ont tenté de prouver l’existence de ces organismes mais en vain. L’ensemble de ces données mis en perspective permettent de dire deux choses: quand bien même nous userions de techniques encore plus innovantes pour scruter les moindres détails physico-chimiques de la cellule nous n’arriverions pas à comprendre le principe même de la vie. De plus, là où Aristote y voyait un telos, là où Buffon y contemplait un moule intérieur, réside le secret de la vie. Autrement dit, une conception purement matérialiste de la vie semble prohibée, voici une des principales limites de la théorie cellulaire moderne.

15 Théorie endosymbiotique ℹ

Théorie biologique permettant d’expliquer la survenue des mitochondries dans les cellules eucaryotes. Cette théorie est cruciale dans l’évolution des eucaryotes pour expliquer la complexité des organismes.

La science n’évolue pas indépendamment de son contexte historique et les découvertes ne sont pas indépendantes les unes des autres. La théorie cellulaire n’en est pas une exception et elle entre en résonance avec les concepts antérieurs. Buffon introduit une vision matérialiste permettant de pensée l’organisme comme un ensemble d’unité. De son côté, Darwin focalisa son attention sur les cellules en y voyant un produit d’excrétion. Autrement dit, le champ de vision de la science s’est vue perfectionner au cours de l’histoire jusqu’à pouvoir se focaliser sur la cellule et son comportement. Aujourd’hui la théorie cellulaire est admise de manière prédominante et permet de mettre en lumière de nouvelles questions à la fois scientifiques et philosophiques comme celle de l’origine cellulaire ou de la théorie endosymbiotique15.

Découvrir d'autres articles